En 1985, Hugo Spadafora mourait sous les tortures des hommes du général panaméen. Sa famille tente d’empêcher l’extradition de l’ex-dictateur vers son pays d’origine.

Pour les Spadafora, c’est le combat de la dernière chance. En mémoire de Hugo. En enclenchant une procédure judiciaire à Rome, Guido et Carmenza Spadafora espèrent que l’ex-homme fort du Panama, le général Manuel Noriega, paiera pour l’atroce assassinat de leur frère aîné au destin flamboyant. Médecin, guérillero et bel homme, ce Panaméen d’origine italienne est mort en 1985, sauvagement tué sur ordre de l’ancien dictateur. Son tort ? Avoir dénoncé avec force les pratiques de celui qui régnait alors sur le petit pays d’Amérique centrale, travaillait pour la CIA, commerçait avec le cartel colombien de Medellin et… faisait disparaître les récalcitrants.

Depuis trois mois, les membres de la fratrie Spadafora, qui possèdent la double nationalité italienne et panaméenne, se démènent à Rome pour faire juger en Italie celui que l’on surnommait naguère « Face d’ananas », aujourd’hui détenu en France. Avec un certain succès: le 7 octobre, le ministre italien de la Justice, Nitto Palma, a signé l’ordre de mise en accusation de l’ancien dictateur, ouvrant la voie à un éventuel procès à Rome. « A la fin de novembre, la cour d’appel de Paris devra donc choisir entre deux demandes d’extradition, la panaméenne et l’italienne », observe Me Alessandro Maria Tirelli, avocat de la famille Spadafora. Un choix délicat, tant les relations judiciaires franco-italiennes restent marquées par les séquelles de l’affaire Cesare Battisti.

Noriega purge une peine de sept ans à la prison de la Santé

L’ex-homme fort du Panama purge depuis avril 2010 une peine de sept ans à la prison de la Santé, à Paris, pour blanchiment d’argent, après avoir passé près de vingt ans derrière les barreaux aux Etats-Unis, pour trafic de drogue. Or les Spadafora n’ont « aucune confiance » dans la justice panaméenne, qui demande son extradition. A Panama City, le président de la République, Ricardo Martinelli, laisse entendre que les conditions de détention seraient « humanisées » en cas de retour. « Si Noriega, âgé de 77 ans, rentre au pays, il purgera le restant de sa peine dans les conditions d’un cinq-étoiles, s’inquiète Carmenza, soeur du défunt Hugo Spadafora. Voilà quelques années, une loi taillée sur mesure a été votée par ses anciens alliés politiques, toujours influents, qui autorise les détenus septuagénaires à effectuer leur peine aux arrêts domiciliaires. Or Noriega a les moyens d’un millionnaire… »

En Amérique centrale, Hugo Spadafora, qui aurait aujourd’hui 71 ans, a l’aura d’un Che Guevara local. D’abord engagé comme médecin guérillero en Afrique lors de la guerre d’indépendance de la Guinée-Bissau, au côté du mythique Amilcar Cabral, il devient ensuite vice-ministre panaméen de la Santé, en 1978, dans le gouvernement du non moins mythique Omar Torrijos. L’année suivante, il s’engage dans les rangs des révolutionnaires sandinistes qui, au Nicaragua, font tomber la dictature de Somoza, en 1979. La fin de sa courte vie, Spadafora la consacre à dénoncer, de toutes ses forces, les abus de pouvoir de « Face d’ananas ». Arrêté à la frontière du Costa Rica en 1985 sur ordre du dictateur, il est torturé de manière inimaginable : ligaments des genoux sectionnés, testicules broyés, côtes cassées. Un supplice qui s’achève par la lente décapitation du martyr au couteau de cuisine. « J’ignore ce que décidera la cour d’appel de Paris, soupire Guido Spadafora. Il serait insensé que Noriega, déjà condamné pour trafic de drogue et blanchiment d’argent, ne paie jamais pour ses crimes de sang, perpétrés avec la plus atroce cruauté. »

l’express